Dead Man Ray: un nom évocateur (" Dead Man " comme le film de Jim Jarmush, " Man Ray " comme le surréaliste ou comme un des chiens de William Wegman..?) pour un groupe qui sème des indices le long d'un jeu de pistes qui mène de Berchem (banlieue de Anvers) à Chicago. Attention, certains sont faux, comme celui qui consisterait à croire que Dead Man Ray est un projet parallèle de Deus. D'autres sont encore à vérifier, même si on devine assez rapidement une curiosité musicale qui va des racines du rock fauve (Captain Beefheart) aux sonorités de la scène alternative américaine (Pavement) en passant par les tendances les plus radicales de la new-wave (The Fall, Wire...). D'autres encore sont révélateurs, comme l'absence de bassiste au profit des guitares amplifiées, croisées et parfois retravaillées à l'aide d'un ordinateur. Rock oblique ? Pop dissonante ? On se gardera bien de coller une étiquette sur ce quintet dont la musique ignore les frontières, tant musicales que géographiques.

Depuis 5 ans, Dead Man Ray cherche, enregistre, tourne. Un premier album, Berchem, voit le jour sur leur propre label Heaven Hotel (Goreslut, Kiss my Jazz, Morf...). Labels prend en main la distribution du second, Trap, et initie une compilation en forme de résumé des épisodes précédents pour ceux qui prendraient le train en route. Il est toujours temps de prendre le train en route, même sans billet. C'est la direction qui compte. Celle que prend Dead Man Ray promet un épanouissement à l'écart des sentiers battus. Cette plénitude passe parfois par des périodes de solitude : aussi bien Daan Stuyven (guitare, chant) que Rudy Trouvé (ex-Deus, guitare) ont publié des disques en solo.

Pour son troisième album, le groupe a choisi de franchir l'Atlantique et d'aller pousser la porte du studio de Steve Albini (Nirvana, Breeders, mais aussi Low, Will Oldham, Cat Power...). Sous sa protection bienveillante, il enregistre 10 titres dans les conditions du live, sans tricher. L'émotion du chant de Daan a été captée en une prise à chaque fois. Les guitares se rencontrent, se poursuivent, se répondent. La fluidité de la rythmique doit beaucoup à la liberté du jazz, une influence pleinement assumée. Le poète beat Ken Nordine, invité par le groupe, improvise une récitation spontanée sur un morceau (" Blue Wolkswagen 10:10 am "). Et l'ingénieur du son très prisé, partisan d'une certain authenticité, capture le tout sur bande analogique.

Cago condense le meilleur de Dead Man Ray, avec un sentiment d'unité qui était peut-être moins fort dans leurs précédents albums. Le morceau qui ouvre l'album, " Landside ", donne un bon aperçu du cheminement musical du groupe depuis " Trap " : des compositions toujours aussi inventives et lancinantes (durée moyenne : 5 minutes) capturées dans l'intensité du live. Dans sa concision, le disque gagne beaucoup en cohésion, en immédiateté. Et même si le son n'a rien à envier à celui des récentes productions américaines, quelque chose de très européen traverse " Cago " : une sorte de lassitude continentale, la même qu'on peut trouver sur les disques de The Notwist comme ceux des cousins anglais d'Appliance. Traitée à grands coups d'électrochocs, affinée au larsen, mais bien trop tard pour enrayer la transmission. " Transmission " ? Dance to the Ray-Dio.

Philippe Dumez